Port du voile : Avançons avec confiance en nos valeurs.

Le 15 mars 2022, la cour du Karnataka, état du sud de l’Inde, décrète l’interdiction du port de l’hidjab par les jeunes filles musulmanes dans les établissements scolaires. Le tribunal a statué que l’hidjab n’est pas une pratique religieuse essentielle dans l’Islam et, par conséquent, il n’est pas protégé par l’article 25 de la constitution énonçant le droit fondamental de pratiquer sa religion.

L’Inde semble avoir importé les querelles interreligieuses de l’Occident sur son territoire qui abrite pourtant une multitude de communautés religieuses. Le berceau du bouddhisme, de l’hindouisme, du jaïnisme ou encore du sikhisme a brillé par son modèle d’intégration qui a permis la cohabitation pacifique de plus d’un milliard de personnes de confession différentes. Bien sûr, au sein des religions dominantes, des mouvements conservateurs, extrémistes, fondamentalistes ont toujours existé, mais ils n’ont jamais pu fragiliser cette unité dans la diversité, qui a fait de la société indienne, un modèle de tolérance.

Jusqu’à ce que le parti nationaliste hindou, le BJP, arrive au pouvoir en 2014. Par la nature de son programme politique, le BJP penche très fort à droite et déséquilibre dangereusement la fraternité interreligieuse du pays. L’exemple de la décision du Karnataka à l’égard du port du voile islamique l’illustre bien. Cependant, pour bien appréhender le problème, pouvons-nous simplement déplacer le débat français à ce sujet dans le contexte indien ? Probablement pas.

L’Inde, comme la France, est une démocratie séculière, certes, mais l’histoire du pays est différente. L’Islam est arrivé en Inde au 7ième siècle, et depuis, fait partie de l’héritage culturel et religieux du pays. Les signes d’appartenance religieuse, notamment vestimentaires, sont visibles, tolérés et omniprésents, sans autres questionnements depuis des siècles.

La France, par contre, est une « terre chrétienne » depuis deux millénaires. L’intégration d’autres religions sur le territoire est donc une affaire quelque peu différente. La controverse française sur le port du voile ne peut tout simplement pas s’appliquer telle quelle en Inde, du fait de cette différence historique. La décision du gouvernement du Karnataka d’interdire le port du voile est politiquement beaucoup à plus droite, vu qu’elle discrimine une religion particulière dans le contexte d’une nation multiculturelle qui a toujours pu conserver un large espace de liberté en ce qui concerne l’affichage de l’appartenance religieuse.

En France, la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État fût une étape importante vers l’émancipation religieuse et la laïcité. À l’époque, il était déjà question de limiter l’usage de l’habit religieux qui pouvait représenter une forme d’autorité du clergé sur le citoyen lambda. De façon générale, le libre exercice des cultes est garanti par cette loi, mais elle interdit également d’apposer des signes ou emblèmes religieux dans l’espace public.

Cependant, les vagues successives de flux migratoires de personnes musulmanes pendant le 20ième siècle apporte une nouvelle dimension à la question. A peu près tout le monde, de gauche ou de droite, s’accorde à dire que l’imposition du port du voile aux femmes, surtout le niqab et la burqa est une atteinte à leur dignité. Les femmes musulmanes se voilant le visage ou plus, sur un territoire qui garantit la liberté de culte, mais pas celle de l’afficher en public, constitue donc un problème politique épineux à résoudre.

En 2010, une nouvelle loi interdit la dissimulation du visage dans certains espaces publics. Bien sûr, les musulmanes de France sont les premières visées par cette loi, mais pas explicitement comme au Karnataka (l’hidjab). Néanmoins, il peut paraître étonnant qu’une telle décision soit prise dans un état où la liberté individuelle est un socle important de l’éthique nationale. Evidemment, le premier argument en faveur de cette loi est la préservation de l’égalité des genres. Les femmes musulmanes de France sont donc privées d’une liberté, celle de porter l’hidjab dans certains espaces publics, afin de ne pas porter atteinte à une autre liberté, celle des femmes en général, de ne pas être forcées d’accepter un code vestimentaire différent de celui des hommes.

Les pensées émanant de la droite ou de la gauche, permettent-elles d’élaborer des solutions, des compromis satisfaisants ?

Comme le montre l’exemple du Karnataka en Inde, à droite, nous avons la franche tendance à la stigmatisation de groupes différenciés sur base de leur religion, leur origine, leur sexe, etc. Nous connaissons trop bien les suites de telles pensées lorsqu’elles trouvent un parti ou une personne pour les mettre en œuvre. L’extrême droite n’apporte pas de solutions raisonnables.

Pour les gens de gauche, fervents défenseurs des droits de l’Homme, le paradoxe d’abolir une liberté pour en sauver une autre est assez inconfortable. Du coup, les positions de la gauche modérée sont assez ambiguës. Par contre, dès que l’on s’écarte d’avantage du centre, on en vient à un rejet plus catégorique de l’interdiction du voile.

Voyons ça d’un peu plus près avec quelques citations trouvées sur la toile.

« Ce n’est pas en arrachant son voile à une nana qu’on va la libérer, ça ne marche pas comme ça l’émancipation, c’est du faux féminisme, de l’islamophobie déguisée »

« L’émancipation, ce n’est pas forcément porter un bikini. Est-ce qu’une femme blanche apprécierait qu’on vienne lui dire: ‘je trouve qu’avec ton string tu es prisonnière du diktat de la femme qui doit être belle et à poil’? »

Entendu, le féminisme est probablement instrumentalisé par l’extrême droite pour valider des propos discriminatoires envers l’Islam. Notons que dans le cas du Karnataka, il n’y a tout simplement pas de féminisme, et que l’islamophobie est à peine déguisée.

Ce qui est intéressant avec la deuxième citation, c’est que la question est ramenée à l’individu. Finalement, n’est-ce pas tout simplement un choix personnel que l’on doit respecter ? Idéalement oui, mais le choix est-il vraiment personnel ? Dans la pensée culturaliste, qui peut être critiquée, mais qui possède aussi des fondements anthropologiques valides, on considère que l’individu est largement façonné par la culture du groupe dont il est issu.

Une femme musulmane qui a toujours connu les autres femmes de sa communauté portant la burqa, ne verra pas automatiquement la possibilité de vivre sans la burqa comme une liberté qu’elle souhaite. Nous sommes tous quelque part, prisonniers de notre culture, et inconsciemment, nous l’acceptons, car elle constitue une part importante de notre identité.

Vu comme ça, nous serions des individus dont la liberté est relative à notre propre environnement culturel. Un individu se sent libre parmi les siens, pas forcément ailleurs. Dès lors, le problème du port du voile ne se situe pas au niveau de l’individu, mais à un niveau supérieur, celui de la culture d’un groupe. Le problème est un choc des cultures, surtout lorsqu’il s’agit d’un groupe culturel qui s’incorpore dans un autre. La question du port du voile revient donc à la question suivante : comment sortir d’un conflit interculturel sur un territoire donné ?

Contrairement à ce que les fondamentalistes ou les ultraconservateurs voudraient faire croire, la culture n’est pas un phénomène statique, mais bien dynamique.

Depuis le début des civilisations, les cultures évoluent et s’enrichissent parallèlement. Mais elles se mélangent également, par la guerre, les migrations ou les échanges économiques. Si bien qu’au travers des siècles, on voit certains aspects culturels, comme certaines valeurs morales, de l’éthique, converger. Il n’existe plus au monde une culture où tuer ou voler son voisin est permis. L’évolution semble orienter toutes les cultures vers certaines valeurs universelles.

Bien sûr, dans l’état actuel des choses, tout n’est pas « universalisable ». La nature a conçu un monde complexe et diversifié, il en va de même pour les cultures. La convergence vers des valeurs universelles ne peut se faire qu’après avoir fait l’expérience de différentes possibilités, ce qui permet de faire un jugement de valeur et ensuite un choix, et ce, collectivement.

Il semble évident que l’égalité des genres, pour laquelle l’occident a pris une avance certaine pendant le 20ième siècle, sera un point de convergence pour toutes les cultures, une valeur universelle.
Idéalement, les dynamiques culturelles menant à ces valeurs universelles, devraient être le produit de métabolismes internes à chaque culture, et non pas un processus extérieur forcé, imposé. En ce qui concerne le voile pour les femmes, notons qu’il est devenu tout à fait facultatif dans de nombreux pays musulmans dans le courant du 20ième siècle et certains d’entre eux ont même interdit le voile complet.

Interdire le port du voile sur le territoire français a du sens en regard de notre volonté de préserver l’égalité des genres, mais c’est une mesure d’imposition. Cela pourrait créer une contre-réaction au sein des communautés musulmanes, renforcer leur sentiment identitaire et dès lors ralentir les transformations nécessaires à la convergence.

Plutôt que de créer un climat de peur au sein de la population française, il serait préférable de cultiver la confiance en nos valeurs. Il y aura immensément plus de femmes musulmanes qui « s’émanciperont » que de femmes non-musulmanes qui choisiront de porter le voile. Le cas contraire ne peut se produire que dans le contexte d’une agression contre les institutions et l’intégrité territoriale de la France, ce qui n’est pas du tout d’actualité.

Lorsque nous voyageons sur des territoires étrangers hébergeant d’autres cultures, nous sommes fiers de respecter les codes locaux, même s’ils sont contraires à nos valeurs, Si nous cultivons la tolérance et le respect dans notre rapport à d’autres cultures, nous plaçons notre société en pionnière de valeurs universelles qui finiront par déteindre sur toutes les autres. La tolérance et le respect offerts aux communautés musulmanes sur nos territoires se traduiront sur le long terme par une tolérance et respect réciproques. Nous serons alors un modèle de société qui fera tomber les voiles, naturellement.

Avançons avec confiance en nos valeurs.

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