Mon chemin initiatique – Lui-les-Dieux

Étant né d’une famille chrétienne, j’ai eu droit à toute la panoplie des instruments d’éducation religieuse, culminant avec la profession de foi et la confirmation.

Avec le recul, je trouve très élégant de la part de l’église, qu’après avoir baptisé tous ses membres à la naissance, on leur demande de confirmer leur croyance en Dieu et leur complaisance aux préceptes de la communauté chrétienne, dès lors que leurs visages se chargent en acné.
Mais bon, la révolution culturelle de mai 68 ayant largement produit ses effets, osons poser ouvertement la question de savoir si, à 12 ans, nous sommes réellement en position de faire ce choix, ou si nous ne faisons pas robotiquement ce que la famille et le proche entourage, scolaire et villageois, attendent d’un futur adulte responsable et bien éduqué.
Il est vrai que j’aimais bien entendre les histoires de Jésus en compagnie de mes camarades de classe ou de catéchisme. Il fallait imaginer le monde il y a deux mille ans, et on nous y aidait grâce à des illustrations bon enfant, de scènes en pays chauds, sans voitures ni supermarchés, où les gens marchent pieds nus en longues toges, où des colombes blanches se prélassent à l’entrée de chaque maison, et où l’eau claire se transforme en vin rosé.
Si j’appréciais la beauté du tableau, je restais toutefois sceptique par rapport au message biblique actualisé.

Né en Belgique, je devais croire au Dieu de la Bible. Mais si j’étais né en Arabie, j’aurais du croire en Allah, au Bhoutan en Bouddha, en Inde, en des milliers de Dieux différents. Je pense que beaucoups de gamins ont du se poser les questions suivantes : Pourquoi Dieu n’est-il pas le même pour tout le monde? Et qu’est-ce qui me dit que c’est le pape qui détient la vérité et pas le calife ou le Dalai Lama?
Mais surtout, mon éducation chrétienne ne m’a jamais apporté de réponses satisfaisantes aux questions essentielles : pourquoi la vie, pourquoi la mort, pourquoi les malheurs, pourquoi ne peut-on pas tuer un homme mais bien un cochon, pourquoi ça c’est bien, pourquoi ça c’est mal, etc. Il ne fallait pas comprendre, mais croire, et cela ne me convenait pas…
Lors de la retraite précédant la grande communion, on nous a demandé de rédiger un petit mot qui décrivait notre relation à Dieu, et qui allait figurer sur notre faire-part de profession de foi. J’aurais tellement voulu être capable d’écrire quelque chose avec mes propres convictions. Mais, comme tous mes compagnons de la retraite, malgré mes 12 ans de “christianisation”, je n’en avais pas. C’est pour cette raison que le curé avait écrit sur le tableau plusieurs dizaines de mots et morceaux de phrases parmi lesquels il fallait piocher pour faire une phrase sémentiquement correcte.
Je me rappelle avoir formulé ça comme suit : “Je crois en Dieux et son amour, je me fie à lui source de vie”.
L’un dans l’autre, j’avais réussi à énoncer une formule suffisamment universelle pour que n’importe qui, de quelque culture que ce soit, à l’exclusion des athées bien sûr, aurait pu l’énoncer à ma place.
Le jour de ma communion, évidemment rien de spécial ne s’est produit sur le plan spirituel, mais quel jour de fête !!!

Parmi les cadeaux, la Sainte Bible de Jérusalem. Ça fait toujours bien d’avoir un gros livre dans sa bibliothèque, surtout lorsqu’il arbore une peinture de Michel-Ange, qui, soit dit en passant, aura admirablement réussi à faire figurer un Dieu à longue barbe dans les nuages de la conscience collective chrétienne.
Quelques années plus tard, je décide de me mettre à la lecture de cette Bible qui commençait à m’intriguer. Je fus rapidement rebuté par la lecture de l’arbre généalogique d’Abraham. Machin engendra bidule qui se maria à truc qui engendra chose, etc. pendant des pages entières.
La Bible n’allait pas assouvir ma soif de savoir, mon désir de trouver des réponses.

Tout naturellement, je me tournais alors vers les sciences. La puissance de l’outil mathématique m’émerveillait. Et je trouvais admirable ses applications dans l’univers de la physique. Je peux prédire le point de chute d’un boulet de canon, et savoir à quel endroit vont se croiser deux trains qui partent dans des directions opposées connaissant leurs vitesses moyennes.

A chaque étape de compréhension de la logique scientifique, je vivais une sorte d’orgasme cérébral.
La science m’a apporté beaucoup de réponses, mais elle s’est également avérée muette par rapport aux questions plus existentielles. Je me disais que ce n’est qu’une question de temps, qu’un jour, la science ira jusqu’au bout des mystères, qu’on saura ce qui se passe réellement derrière la sphère de non-retour qui entoure les trous noirs de notre connaissance.
J’avais presque totalement brossé la religion de mes champs d’investigation. Presque, car on n’est jamais sûr de rien, et la répression envers les non-croyants est assez sévère (l’enfer?)…
La suite fut assez cocasse.
Quelque années de “débauche” me font vivre pleinement ce qui aurait été interdit par la religion:  sorties nocturnes incessantes, filles, alcool, drogues, vie dans la rue, puis grosses voitures, vêtements chics, vie de pacha, etc. Tous les plaisirs de la vie et leurs abus ont fait partie de mon quotidien, en toute liberté.
Jusqu’au jour où… je décide de reprendre un chemin plus viable et de retenter la poursuite d’études. Je me retrouve alors seul face à moi-même, ayant largué ma vie de guindailles et la populasse qui va avec.

Un jour, pendant un moment d’introspection, qui est venu je ne sais pas trop comment, je ressens au fond de moi comme une descente en enfer. De beaucoup de fierté de ma personne, je tombe dans un désarroi total, je me rends compte de ma misérable vie, mon égo se meurt le temps d’un instant, dans une douleur et une honte profonde.

Ce moment d’introspection fut suivit par une réelle illumination, comme si soudain, m’étant débarassé de mon égo, je rencontrais le divin. Une véritable expérience du numen. Je vous assure que c’est vraiment déstabilisant.
J’ai pu répéter cette expérience des dizaines de fois, à chaque fois par le même procédé, en poignardant fiévreusement mon égo. Pendant tous ces moments, j’en apprennais un peu plus sur l’illusion des phénomènes, le sens de la vie, sur l’ultime essence des choses. Je parvenais à vivre une unité de plus en plus pure, je mélangeais mon âme à celle du cosmos de plus en plus profondément. J’ai eu cette chance merveilleuse.
Du coup, ayant pénétré avec mon subconscient dans la sphère du sacré, je me suis réintéressé avec avidité à la spiritualité et aux religions, mais avec beaucoup plus de pragmatisme et d’esprit critique. Par de nombreuses lectures, je me suis adonné pleinement, malgré les avertissements, au syncrétisme religieux et philosophique.
Au hasard de mes lectures, j’ai trouvé un livre, écrit au 16ième siècle par Antoine Fabre d’Olivet, et dont le titre est “La langue hébraïque restituée”. Au delà de tout l’aspect technique de l’étude de l’hébreu, l’auteur proposait une relecture lettre par lettre des premiers livres de la Bible, écrit, selon lui, par Moïse en hiéroglyphes, puis en hébreu. Je me relançais donc dans la lecture de la Bible, mais, cette fois, accompagné d’un exégète hors du commun.

Je me suis particulièrement délecté lorsqu’il arriva à la traduction du nom de Dieu lui-même, “Aelohim”. De l’hébreu, “Aelohim” se traduit en français par “Lui-les-Dieux“.

J’ai du relire quelque fois… « Lui-les-Dieux » … Puis, « le franc est tombé » comme disait ma grand-mère (j’adore les expressions bruxelloises), j’avais compris. C’était la première fois qu’un texte issu de ma religion m’illuminait. Cela faisait parfaitement écho avec une expérience que j’avais vécu, et ça fait toute la différence.

L’ultime essence de la vie se cache en fait dans le nom de Dieu prononcé en hébreu. Les dieux, c’est nous, créateur-acteurs-spectateurs du monde. Lui, c’est nous tous ensemble, c’est Dieu, l’unité dans la diversité.

J’avais enfin trouvé le Dieu qui me convenait, le Dieu en lequel je pouvais croire, car c’est moi, et il n’y pas de doute à ce propos, j’existe bel et bien. Je suis dieu, tu es dieu et nous sommes Dieu. Nous sommes multiples, mais nous sommes Un. Nous sommes les dieux, nous sommes Lui. Notre individualité n’est qu’illusion, la réalité ne réside que dans cette perception de l’unité.

C’est évident non ? Le fait d’« être », de vivre, de créer, de ressentir, de pouvoir observer, d’être conscient de soi, ou tout simplement de donner forme à la vie, suffit à faire de nous des dieux.
Et si, l’individu n’est qu’illusion, la mort de l’individu n’est probablement qu’un retour à quelque chose de plus « réel ». Un réel qui nous est caché pour pimenter l’aventure du grand jeu de la vie.

A l’origine de chaque religion se trouve un prophète, un visionnaire, disons un initié, en référence au livre « Les grands initiés » d’Édouart Schuré. Je suis persuadé que ces initiés sont simplement des personnes qui, grâce à leur « initiation », ont pu apercevoir ce qui est caché aux pauvres mortels que nous sommes.
Malheureusement, le savoir (peut-on vraiment appelé ça du savoir?) qu’ils ont essayé de transmettre s’est perdu dans les sous-terrains des églises, mosquées et autres temples religieux.

La religion… ce phénomène humain qui s’apparente facilement au phénomène politique, fruit de l’opportunisme propre à notre espèce.
Lorsque le savoir d’initiés tombe dans les mains d’une élite déjà en place, il devient un puissant instrument de domination, de contrôle, de prise de pouvoir : une religion. Alors que les initiés voulaient véhiculer un savoir qui doit permettre à l’humain de se transformer, de s’élever spirituellement, dans la plupart des cas, il est transformé au bénéfice d’une élite. Du coup, c’est un vide spirituel qui se propage, jusqu’à plonger des civilisations entières dans l’obscurantisme.

J’ai eu une belle illustration de cette tromperie religieuse lors de ma dernière année à l’université où nous étions tous obligés de suivre un cours de « Sciences religieuses ».
Le prof, un curé de première classe, nous proposait de relire des textes bibliques anciens. Un jour, on s’est retrouvé pendant deux heures devant un verset de Saint Mathieux (verset 16 : 24). La première lecture fut celle que l’on trouve aujourd’hui dans la bible de Jérusalem. C’était Jésus qui s’exprimait devant une foule :

Si quelqu’un veut venir à ma suite
Qu’il se renie lui-même
Qu’il se charge de sa croix
Et qu’il me suive

Voilà un message bien religieux, n’est-ce pas ? Bonjour le développement personnel! Pourquoi ne pas rejoindre immédiatement les ordres ! 😀
Il nous montra ensuite le texte original écrit en Grec. Nous l’avons retraduit ensemble accompagné (par chance) d’un étudiant grec qui suivait le même cours. A la fin des deux heures, nous avions retraduit le verset de cette façon (avec mon interprétation dans la colonne de droite) :

Si quelqu’un veut suivre
Qu’il dise non à soi-même
Qu’il soit prêt à porter sa croix
Et je serais avec lui 
Si tu veux être un suiveur
Laisse tomber cette idée (ne fais pas ça)
Ce n’est pas le plus facile à faire
Mais tu auras cette force invisible avec toi

Mettez les deux traductions en parallèle et appréciez la supercherie ! Ce fut pour moi comme une deuxième illumination.
Nous ne sommes pas fait pour être des suiveurs. Comme dans la nature, nous devrions être encouragés à être différents, suivre notre propre chemin.
Porter notre croix ? Oui, ne pas être comme les autres, ce n’est pas le plus facile, Mais ceux qui suive un chemin de vie original, ceux qui le font avec une bonne intention, le savent, il y a comme une force invisible qui les accompagne et qui les rend plus forts.
Vous voulez un ange gardien ? Soyez original, avec de bonnes intentions.

Voici les quelques bagages spirituels avec lesquels j’ai pu (jusqu’à présent) mener un chemin de vie qui a du sens à mes yeux, un chemin plein d’aventures, d’inattendus, de joie, d’apprentissages. Un chemin qui me fait aimer la vie sans craindre la mort, sans autre religion que l’amour universel. 🙂

Laisser un commentaire